Poésie
Errance
Telle une protubérance
Béante
Béate
Traquer ses contours
Trouver l’aventure
Se sentir comme le vent
Se glisser dans ses élans
Ouvrir le cercueil
Éviter ses écueils
Sombrer dans l’oubli
Se réveiller à l’ennui
Chercher son sillage
Effacer sa trace
S’alanguir d’une goutte
S’alimenter de doutes
La nuée devient fantôme
La silhouette se perd dans la brume
La corne au bord des lèvres
La lueur se perce
Puis se disperse
En un trou larmoyant
S’évaporer de sa consistance
Chercher son essence
Dans son œil linceul
Qui s’efface dans son pli
Mélancolie
Chuchote moi à l’oreille les mots que je ne saisis point
Les miriades de je t’aime que j’attends dans tous les recoins
La vague de larmes qui sèche sur le fil après l’essor sans âge
Le monde retroussé dans mes manches cliquetant sa douceur amère
J’entends la brèche de neige au creux du puits sans fond
J’attrape les nuages et les emplis de mon souffle altère
Avant qu’ils ne se transforment en pluie goutte après goutte
Mon encre ancrée dans ma poitrine laisse ivre sa bataille
Douce et vide plénitude me chatouille les alvéoles
S’échappe en crachin sur un terrain miné d’espoir
À la rencontre d’une poussière virevoltée d’étoile
E.T. téléphone maison
Désir d’appartenance
Ondoyé d’errance
Empreinte à la méfiance
Les larmes en murmure
L’oubli en pâture
Se pare de doute
(En)quête vibratoire
Se dérobe à l’ennui
Ancre courant d’air
Aspire à l’acmé
Dans le triangle des Bermudes
Trouble
Trouble
Trouble redoublé
Inversion confuse
Quête impermanente
Sauter à pieds joints
Perdre pied
Arriver à point innommé
Rétamer les certitudes
Enlacer les peut-être
Plonger dans l’imprévisible
Révérence à l'inconnu
Les apparences en clapotis
La vérité fantôme
Frémir de doutes
Frissonner de que sais-je
Le relatif comme substantif
Les pieds dans les nuages
La tête dans la poussière
La brume chevillée au cœur
La grandeur des pierres
Il pluviote sur mon courroux
La grandeur des pierres arbore avec fierté l’élégance
L’élégance des entrelacs et entrechats
Entrechats de ma puissance
Puissamment courroucée par l’ignorance
Ignorer la beauté et la grâce
Est gracieusement puni par la morale artistique
Artiste nul ne s’ignore
Ignorer à tort ne tue point
Point de mire m’attire à la vertu du centuple
Sans duperie aucune de ma part
Partager mes pensées avec magnificence
Magnifier ma danse et mon élégance
Élégamment honorer l’art et le mien
Pluie en battante se transforme
Ainsi pleut-il et tout le monde se tait
Farandole
La farandole de l’être n’est qu’un pas qu’il convient de suivre
Suivre la voie de la poésie quoi qu’il en coûte
Il me coûte de retenir les voies qui s’ouvrent à moi
Moi, mon ego prend beaucoup de place mais s’exprime peu
Peu ou prou il a toujours peur et voudrait qu’émane juste la perfection, le génie
Génie où es-tu ?
Eugénie, Iphigénie, nid, nymphe
La nymphe prend sa place mais l’ego menace
Menaçante est la tempête qui s’apprête
Elle s’apprête pour le bal de l’intime, pour la mise à nu
Mise à nu ou mise à mort ?
Que nenni assez de tergiverser, trancher dans le vif du sujet
Sujet, verbe, complément
S’assujettir à la pensée normalisante
Normaliser pour mieux régner
Régner pour contrôler
Contrôler m’extirpe la langueur de mes entrailles
Entrailles entravées par ce fil résistant
Résister pour dissimuler ce trou béant
Béant vulnérable
Béat
Je me faufile dans les interstices de mon coeur
Je me faufile dans les interstices de mon cœur
Interstice tisse mon cœur
Mon cœur se faufile
S’il le faut
Inter…
Internement, international, intéressant, France Inter, interculturel, interlude, interpeler, intérieur
Intérieur versus extérieur
Externe, expatrié, expulser, extraordinaire, ex-voto, Excalibur, ex-nihilo, excommunié
Interne et externe se rencontrent peu
Exclusivité
Fragilité
Pudeur
Interstices
La porte s’ouvre
Le vent souffle contre la paroi de mon cœur
Laisser entrer la brise
Inspirer à pleins poumons
Épouser les courants d’air
Toutes voiles dehors
Et se laisser emporter
Perdre son intégrité
Prendre le voile
Verrouiller le cadenas de son cœur
Se revêtir d’une bulle comme d’une armure
Se draper d’un dôme protecteur
Ne rien laisser entrer
Offrir sa peau à la rugosité
Cuirassée de toutes parts
Ne point dévoiler
Dévoyer
Force et courage
Cacher sa sensibilité
Oublier son cœur battant
Frappant à la porte de l’expression
Ouvre-moi au monde !
Chut…
Mettre un voile sur les ressentis
Les faire disparaître
Évanescence
Concupiscence
S’évaporer au monde
Lueur perdue
Interstices
Mon cœur se glisse comme un funambule
Esquissant des va-et-vient
Sur un fil tendu
Entre le désir d’être
Et le dégoût de soi
Le mutisme et l’expression
Cheminer entre les ombres et lumières
Se faufiler dans les failles
Suivre les fissures du temps
Plonger dans les profondeurs obscures
En sortir les bras devant
Rencontrer la porosité
Miroitant dans le reflet de l’eau
Brillant dans la nacre des perles de pluie
Accueillir le puits de lumière
Qui fait virevolter la poussière
Interstices
Poum poum poum poum poum poum
Mon cœur tisse son fil de soi
Sillonnant l’atmosphère
Laisser une trace
Suivre le tintamarre criant
Exprimer sa vérité
Effeuiller son intimité
Comme des nuées de pensée
Hisser la grand-voile
Revêtir ses plus beaux atours
Fragile, fébrile, sensible
Arborées avec fierté et dignité
Les émotions volent au vent
Cliquètent, claquettent, tempêtent, s’ébrouent
Liberté du geste
Liberté de parole,
Liberté du grand tout
Mélodie du vivant
Rien n’est plus diaphane qu’un ciel bleu
Pudeur
Chenille cherche son chemin
A travers les interstices de l’expression
Les feuillets emprisonnent
Toutes ces couches à traverser
Vain chemin
Mutisme
Tisser des fils de soie
Se forger une carapace
Cacher pour se protéger
De la vulnérabilité mise à nu
Honte
Mettre un voile sur ce qu’on ressent
Glisser de la pudeur sur l’épiderme
Comme une chrysalide en germe
Attention, faire attention à tout
Se faire oublier
Coller à la transparence
S’accorder au semblable
Ne pas être vue, montrée, désignée, être au centre
Et pourtant chercher la reconnaissance
Faire résonner ses accords singuliers
Être vue, entendue, touchée, aimée
Pour ne pas disparaître en fumée
Exprimer ou imploser
Interstices
Ombre et lumière
Interstices
Cicatrices
Nervures du passé
Oscillation du présent
Futur incertain
Souffle frémissant
Onde miroitante
Reflet trouble
Enveloppe en pointillé
Clarté dans la porosité
Surfer sur la vague de ses pensées
Glisser sur son fil intérieur
Fissure
Se faufiler dans les failles
Écouter
Trembler
Frémir encore
Contes
Il était une fois Petite flamme
Il était une fois Petite flamme. Elle vivait dans une bouteille à la mer. Cette bouteille était de taille moyenne, de couleur verte et était fermée par un bouchon de liège. Depuis sa naissance, Petite flamme était fascinée par tout ce qui l’entourait. Elle se plaisait à voguer sur les flots et observait les couleurs de jour comme de nuit. Elle adorait par-dessus tout admirer la lune et était fascinée par le bal des étoiles et des nuages qui l’accompagnait. Elle était amoureuse de la vie et de toute sa poésie, ce qui rendait sa lueur vive et chatoyante.
Parfois la mer se transformait en sable mouvant. Dans ces moments-là, elle était terrifiée à l’idée d’être engloutie à jamais. Car depuis sa naissance, sa bonne fée la chandelle lui avait dit que l’eau était dangereuse et lui avait enjoint de rester bien à l’abri dans sa bouteille.
Petite flamme se sentait en sécurité et privilégiée dans cette bulle qui lui offrait une vue imprenable sur le monde. Elle se sentait unique, précieuse. Elle aimait jouer avec chaque étoile qu’elle apercevait dans le ciel. Elle imaginait que les étoiles étaient des danseuses qui se déplaçaient à la vitesse de l’air, parfois vibrantes, parfois scintillantes, parfois filantes. Elle assistait à des spectacles de haute voltige. Elle se plaisait à penser qu’elle était le reflet des étoiles et elle s’amusait à reproduire leurs mouvements. Un jour où sa bonne fée la chandelle lui rendait visite, Petite flamme lui confia : « Je rêve de devenir une étoile et de danser au grand air, tu crois que ça sera possible un jour ? ». Sa bonne fée la chandelle lui répondit : « Hélas non Petite flamme, tu ne pourras jamais être une étoile au grand jour, ce n’est pas dans ta nature ».
Un jour de tempête, Petite flamme s’amusait à danser avec les étoiles comme à son habitude quand tout à coup sa bouteille se retourna dans l’eau. Elle se retrouva le goulot en bas et le culot en haut pendant quelques minutes. Elle sentit de l’eau s’infiltrer à l’intérieur et commença à éprouver des sensations étranges. Sa bouteille était en train de s’enfoncer dans les profondeurs de la mer. Elle avait la sensation de devenir évanescente, comme si elle allait quitter son corps. Elle se mit à suffoquer puis à voir flou. C’est alors qu’elle aperçut dans le brouillard un dauphin. Il fonça droit sur elle à la vitesse de l’éclair, donna un grand coup avec son bec dans le goulot et catapulta sa bouteille hors de l’eau. Elle fit un vol plané très haut dans le ciel et atterrit dans les flots, couchée sur le flanc. Peu à peu, elle sentit la chaleur revenir dans son corps mais elle réalisa avec stupeur qu’elle avait changé de couleur : sa lueur s’était ternie et s’était teinte d’un jaune pâle et discret.
Elle continua à grandir et oublia cet épisode. Tous les jours elle dansait avec les étoiles dans sa bouteille mais aussi avec les gouttelettes, l’écume, les algues, les mouettes, les cormorans, les rayons du soleil et se nourrissait de tout ce qui lui apparaissait dans le monde extérieur. Tout lui paraissait si magique ! Elle rêvait éperdument de traverser la paroi de sa bouteille pour goûter à la liberté de voyager dans tout l’espace qui s’offrait à ses yeux. Elle aurait donné sa vie pour se transformer en étoile l’espace d’un instant, pour goûter à la sensation de scintiller et de filer dans la voûte céleste.
Un jour où la lune resplendissait, suffoquant d’être enfermée, elle suivit son élan de liberté et entreprit de sortir. Elle s’approcha du bouchon de liège et se mit à souffler très fort pour le faire sauter. Elle souffla de toutes ses forces, s’époumona, haleta jusqu’à voir des étoiles dans ses yeux mais elle le vit à peine bouger. L’ombre d’un dauphin se faufila devant ses yeux et à cet instant lui revint en mémoire l’épisode de la bouteille renversée, quand elle avait perdu ses couleurs. Elle jeta un œil à sa silhouette : elle s’était ternie d’un cran encore. Sa flamme s’était teinte d’un beige pop corn.
À partir de ce jour, Petite flamme se coupa de ses rêveries et des étoiles filantes pour préserver sa lueur. Elle arrêta de danser avec les êtres qui l’entouraient et elle se laissa errer sur le rythme des marées. Elle parcourut le monde, se retrouva dans des contrées sublimes de beauté, aperçut d’autres flammes d’autres couleurs. Elle faisait vibrer sa lumière comme une luciole pour les saluer mais personne ne lui prêtait attention. Elle semblait transparente. Petite flamme regardait impuissante le reflet de sa silhouette dans le verre de sa bouteille s’estomper un peu plus chaque jour. C’était comme si on avait gommé par endroits les contours de ses formes ou que des nuages les avaient enveloppés. Elle n’émettait plus qu’une infime fumée qui s’échappait dans les éthers de l’invisible.
Tout à coup elle entendit un bruit contre le verre de sa bouteille. Elle tourna la tête en direction de ce son étrange et aperçut un dauphin qui la salua de son sonar.
- « Mais tu me vois ? » lui lança-t-elle
- Oui, j’aperçois ta lueur mais elle est en train de s’évaporer, lui répondit-il. Il faut faire vite ! Dans quelques minutes, il y aura un arc-en-ciel, danse avec lui comme tu dansais auparavant avec les étoiles et tu feras jaillir tes couleurs au grand jour ! »
Sur ces paroles, le dauphin s’en alla en un plongeon léger puis sauta hors de l’eau, semblant lui montrer le chemin vers l’élan de sa liberté. Petite flamme regarda le soleil et aperçut quelques gouttes de pluie tomber. C’est à ce moment-là qu’un arc-en-ciel se forma dans le ciel. Elle se mit alors à danser avec cet astre multicolore qui refléta ses couleurs sur la bouteille. Elle sentit une immense chaleur parcourir son corps et se mit à tournoyer sur elle-même. Elle prit alors la forme d’une mince volute de fumée arc-en-ciel et se glissa dans la fente du goulot. Elle se laissa happer par la fraicheur ambiante et sentit le souffle doux du vent lui caresser les joues, ce qui la fit rougir de plaisir. Elle sentait les volutes aériennes autour d’elle et toute la volupté qui s’en dégageait. Elle resta là un long moment les yeux fermés à naviguer sur les ondulations de l’atmosphère, se délectant du sentiment simple d’être en vie.
Elle ouvrit les yeux, la nuit était tombée. Les lueurs de la face ronde et bienveillante de la lune et des étoiles miroitaient sur les eaux paisibles qui l’environnaient. Son regard tomba sur son reflet dans la mer. Elle scintillait d’une ardeur étincelante et multicolore. Qu’elle était belle, toute colorée de poussières d’étoile arc-en-ciel. Elle se mit à danser avec les étoiles. Elle ondulait de mille feux, elle sentait une chaleur douce et pure parcourir sa colonne vertébrale, elle était extatique.
C’est alors qu’elle aperçut sa bouteille dans l’eau. Elle gisait là comme une coquille vide. Petite flamme qui avait toujours rêvé de sortir de sa bouteille ressentait maintenant une immense tendresse envers ce foyer qui l’avait portée et qui avait été le réceptacle de ses pensées, de ses mouvements et ses émois. Elle décida d’écrire un message racontant son histoire et entreprit de le glisser dans la bouteille à la mer. Au moment où elle franchissait le seuil du goulot, la bouteille s’érigea dans le ciel sur un rocher de sable, telle une géante des mers et se mit à rayonner des faisceaux de lumière arc-en-ciel. Ils étaient immenses et fendaient l’air de toute leur vivacité. Petite flamme était devenue phare. Elle ressentit une profonde chaleur dans tout son être, le cœur palpitant de vie. Elle se sentait à sa juste place, en paix, les pieds dans sa bouteille et la tête dans les étoiles. Ses couleurs s’exprimaient au grand jour, proclamant au monde son amour et sa beauté.
À partir de ce jour, toutes les petites flammes vécurent telles des phares exprimant leur lueur au grand jour.
Il était une fois Genou
Il était une fois Genou. Il était né dans une poche d’eau et avait commencé sa croissance recroquevillé sur lui-même. Il se sentait à son aise dans cette bulle, protégé et en sécurité. Il n’avait pas besoin de faire d’efforts dans l’eau, juste à se laisser porter et se reposer. Il ne pensait à rien d’autre que son espace, même s’il percevait de temps en temps des bruits, des sensations, des émotions, et cela le rendait très curieux.
Un jour, il dut sortir de sa bulle et découvrit le monde extérieur avec son changement d’apesanteur. D’une position recroquevillée, il pouvait maintenant s’étendre ou se plier et ne se lassait pas de jouer entre ces 2 mouvements. Les êtres qui l’entouraient avaient l’air de s’amuser quand il faisait ça alors il en rajoutait. Petit à petit, il gagna de la force et put ramper en s’appuyant sur lui-même. C’était rigolo de se cogner contre le sol et de glisser mais ce n’était pas encore assez. Il voulait plus, il voulait aller plus haut. Petit à petit, il réussit à s’appuyer sur le sol en angle droit et put avancer à quatre pattes. C’était magique, il pouvait choisir d’aller où il le désirait. Mais il se sentait quand même encore un peu contraint, surtout que les personnes autour de lui étaient bien plus grandes. Il désirait pouvoir atteindre leur hauteur et il les implorait tous les jours de l’aider à y arriver.
Par une belle journée ensoleillée, il aperçut au loin un arbre dans le jardin. « Que cet être est haut, se dit-il, comme il se tient droit ! Il est majestueux. Moi aussi je veux être un arbre ! » Alors il décida de se mettre en action et déploya toute sa force. Il tendit ses articulations et se mit debout. Un peu tremblotant au départ, il finit par tenir en équilibre sur ses jambes qu’il sentait comme du bois robuste sifflotant au gré du vent. « Wouah, se dit-il, quelle puissance, j’ai réussi, je suis un arbre ! » Il fit quelques pas en direction de l’arbre du jardin et regarda autour de lui. Les personnes qui l’entouraient avaient l’air tellement contentes et fières de son mouvement ! Il était aux anges. Tout à coup, il flancha et retomba sur le sol en position pliée, tout honteux. Il se rendit compte que cela lui demandait un réel effort de se tenir debout, son corps était lourd à porter, il fallait se le coltiner ! Il réessaya à plusieurs reprises de se lever comme un arbre et finit par y arriver avec confiance et stabilité.
Il n’en revenait pas de pouvoir se déplacer où il le voulait. Il se sentait grand, libre, autonome. Il voulait partir à la découverte du monde, en bon aventurier qu’il était. Il voulait aller de l’avant, dans toutes les directions. Il commença par la marche. Il alla fouler toutes les surfaces : bitume, terre, sable, rocher… Il adorait jouer avec les différentes vitesses de marche et les amplitudes de pas. Il trouvait fascinant le rouage des jambes auquel il participait avec l’alternance des impulsions, des mouvements et des appuis qui permettait à chaque jambe d’avancer en écho à l’autre. C’était comme une valse. C’est à ce moment-là qu’il prit conscience qu’il y en avait un autre comme lui, qu’il avait un genou jumeau et qu’ils étaient complémentaires pour assurer la stabilité du corps. Il découvrit ensuite le vélo et le mouvement de rotation à l’œuvre avec sa rotule pédalant l’apaisait profondément. Il se sentait alors relié aves toutes les parties de lui-même et en harmonie. Il avala des kilomètres à travers les forêts et battit des records de vitesse. Il se sentait alors invincible. Puis il essaya la natation et cela lui rappela quand il était dans sa bulle d’eau quand il était tout petit. C’était profondément réconfortant, il se sentait léger et se laissait porter tout en douceur, sans résistance. Il s’essaya à la brasse et se sentait super puissant de propulser son corps grâce au mouvement de la grenouille, mais il préférait le crawl où il se sentait plus équilibré dans les battements. Il tenta la course et il apprécia la vitesse et les grandes foulées mais le martèlement du sol et les vibrations qui en découlaient résonnaient dans tout son être, ce qui faisait grincer des dents ses articulations. Plus tard, il s’essaya à la danse et découvrit alors tout un nouveau monde. Au fur et à mesure que s’exprimait sa liberté dans la danse, il apprit aussi à découvrir son corps et ce qui le constituait. Il découvrit alors qu’il était un être complexe, composé d’os, de muscles, de ligaments, de tendons, de cartilage, de ménisque, de nerfs. Tous ces éléments se combinaient à merveille pour lui permettre de se mettre en mouvement. Il apprit par exemple qu’il faisait la jonction entre les muscles de la cuisse et du mollet, entre 3 os : le fémur, le tibia et la rotule, et qu’il y avait des ligaments qui se croisaient sur ce chemin et qui stabilisaient l’articulation entre ses os. Il apprit aussi qu’il avait le soutien de ses cartilages et ménisques pour l’aider à amortir les tensions et des tendons qui permettaient de transmettre l’énergie des muscles jusqu’aux os.
« Wahou ! se dit-il, c’est dingue tout ce que j’ai en moi, quel pied ! Je suis GÉNIAL ! » Cela le rendit encore plus hardi et il se mit à explorer toutes les possibilités de mouvement qui lui permettaient de danser avec son corps. Il pouvait ainsi se plier en avant pour monter sa jambe très haut jusqu’au ciel mais aussi se plier en arrière pour monter son pied jusqu’aux fesses, il pouvait se tendre complètement pour s’allonger sur le sol et se tourner un peu vers la gauche et la droite quand il était plié. Il faisait partie intégrante de la jambe et pouvait se mettre à quatre pattes, à genoux, en tailleur, se tenir debout sur une jambe ou sur les deux à la fois, marcher en avant et en arrière, faire des pas chassés, s’enrouler, croiser les jambes, marcher comme un manchot ou faire le haka tout en puissance, sauter, rebondir… Tout ce potentiel de créativité lui fit gonfler les chevilles jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il était dépendant d’autres parties de la jambe pour marcher et aller en avant comme la hanche et le pied notamment. Il réalisa qu’il était essentiel au mouvement mais que ce n’était pas lui qui donnait l’impulsion. Cela lui mit les nerfs. Il se pensait unique, important, génial et voilà qu’il se rendait compte qu’il était secondaire, qu’il faisait partie d’un jeu de rouage qui créait l’élan. Il essaya avec autorité de prendre le pouvoir sur ses congénères. Il les fit ployer et ils se mirent à genoux avec lui en signe de soumission. Cela dura un court instant. Le pied reprit le dessus et le fit se relever puis la hanche lui commanda de marcher. Après avoir tenté de les contrecarrer, il leur abandonna toute résistance, comprenant qu’ils étaient ensemble interdépendants et que rentrer dans des histoires d’ego était vain. Il se soumit à l’autorité du Nous mais son Je ne s’avoua pas vaincu pour autant.
Il se disait en lui-même : « C’est vrai quoi je suis super important, je fais le lien entre le haut et le bas, l’avant et l’arrière, je porte le poids de tout le corps sur mes épaules, je suis l’« espace entre », l’entre 2. » Au fur et à mesure de ses réflexions, il prit conscience qu’être un lien était certes une position importante mais que cela ne lui laissait pas une grande marge de manœuvre quant à ses désirs profonds. Il souhaitait vivre à sa façon, aller dans sa direction, faire ses propres choix, être autonome et libre, suivre sa volonté et s’émanciper de toute autorité. Cependant il sentait bien que ce n’était pas possible d’être à ce point indépendant. Il avait besoin des autres, à l’image de la hanche et du pied, il avait besoin d’harmonie, d’équilibre des forces pour exister, pour faire avancer ce corps interconnecté. Alors il faisait le lien mais ce lien parfois lui pesait car il avait l’impression de s’oublier dans cet « espace entre » qui se transformait alors en néant. L’autre prenait trop de place et il avait la sensation de se soumettre à une autorité, tel un chevalier prêtant allégeance à son roi. Il se pliait, se courbait et à certains moments il se sentait flancher, s’évaporer, s’évanouir. S’abandonner à l’autre équivalait à s’oublier. Dans ces moments-là, il rêvait de revanche et de pouvoir, d’assujettir l’autre à son bon vouloir. Il était partagé entre sa volonté propre et sa réalisation individuelle et celle des autres et menait un combat permanent dans ce va-et-vient. Parfois il ne voulait pas lâcher pour avancer dans sa propre direction, parfois il se faisait influencer voire envahir par les désirs des autres. À certains moments il cherchait la réciprocité avec l’autre, cette forme d’équilibre, d’égalité dans les rapports, le donnant donnant. À d’autres moments, il était en quête de son propre reflet dans l’autre, comme une forme de reconnaissance et cherchait à nouer des liens avec des personnes lui ressemblant comme 2 gouttes d’eau mais il était aussi intéressé par la complémentarité, voire l’opposition dans les relations. De temps en temps il essayait de faire une pause dans ces rapports de force. Le combat devenait parfois trop ardent et la douleur lui tenait alors la jambe. Il avait entendu les mots tendinite, épanchement, arthrose, il cherchait son chemin et il ne savait plus sur quel pied danser.
Un jour où il était particulièrement en proie au doute sur la valeur de son existence, il entendit une petite voix lui glisser à l’oreille : « Tu es l’arbre ! » C’était son cœur. Alors il se rappela cette vision quand il était enfant de cet arbre majestueux qui l’avait aidé à faire ses premiers pas. Il sentit alors la sève circuler en lui et il se sentit pleinement arbre, connecté à ses racines et à ses branches, à la terre et au ciel. Il se tenait debout, majestueux et fier d’être relié, de faire partie à la fois de l’unicité et du Tout, du Je et du Nous, d’embrasser la complexité et la nuance contenue dans le Moi et les autres plutôt que le choix de la binarité dans le Moi ou les autres. Il se sentait enfin à sa place, comme un messager, une parabole de la vie. À partir de ce jour, il décida de ne plus chercher à maîtriser son rapport à lui-même et à l’autre mais de se laisser couler dans l’apprentissage de la vie, comme la sève dans son existence.